XIIème édition
du 23 au 25 Mai 2025
"Du Mot aux Maux"

Du Mot aux Maux

« Au commencement était le Verbe. » Jean 1,1-2

     C’est par ces mots du Prologue de l’Évangile de Jean que commence l’épopée de la chrétienté, la 2ème religion du Livre entre le monde hébraïque et le monde islamique.

     Le monde est ainsi habité par autant de récits qu’il y eût de civilisations, récit fait de mots auxquels ont adhéré des milliards d’humains s’opposant souvent MOT à MOT au prix de nombre de maux, dont un certain nombre d’exterminations.

     Le mot grec biblique pour « Verbe » est Logos dont la toute-puissance est au-delà de tout débat théologique mais bien en toute conscience analogique. La poésie en est la démonstration. Son étymologie grecque signifie « faire », c’est donc l’acte créateur qui fait passer du non-être à l’être ». Le mot est ainsi performatif.

     Ce thème des Imaginales Maçonniques et Ésotériques 2025, au-delà du jeu de mots, qui n’est traduisible qu’en français, s’imposait à l’écoute d’un monde cacophonique où les mots se vident de  leur sens, ou pire l’inversent.
     Ce thème a été choisi avant que 2025 ne révèle un monde bouleversé et bouleversant tant par un changement climatique aux conséquences redoutables que par des bouleversements politiques tout aussi redoutés.

     Nous avions déjà conscience que les mots participaient aux guerres culturelles et que leur sens diffère : le mot Justice qui signifie pour l’aile gauche de l’humanité Équité et pour l’aile droite l’Ordre. Mais le détournement de sens et l’inversion des mots sont le fait de dictature quelle qu’elle soit, comme le démontre le livre de Victor Klemperer à propos de la Lingua Terti Imperii pour le Reich hitlérien.

     Le brutalisme est un concept architectural des années 50 à la suite de la 2ème guerre mondiale, il est devenu la politique de notre temps comme le démontre avec force Achille Mbembe.
Dans ce brutalisme généralisé, les mots deviennent les armes d’une nouvelle guerre car ils sont les éléments de langage de la guerre des récits.

     En cette année 2025, notre attention se portera vers deux puissances mondiales, Russie et USA, qui ont dominé le XXème siècle dont nous sommes issus, ce qui ne signifie pas un quelconque désintérêt pour les guerres endémiques en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient

    La guerre russo-ukrainienne, dont le début remonte à 2014 et à l’annexion de la Crimée est une guerre de haute intensité qui est caractérisée par une volonté constante de construire des légitimités sur des récits. Cette guerre est tout aussi informationnelle qu’elle est militaire avec les drames humains qui nous sont communiqués chaque jour. Issus d’une situation héritée de l’ancienne URSS (1917-1989), les mots du président Poutine en ont gardé toutes les ambiguïtés.  

     Les mots du président Trump sont pour chacun d’entre nous une interrogation permanente.
     Pour lui, le plus beau mot du dictionnaire est « Tariffs » ou droits de douane. Son utilisation performative depuis quelques mois met le monde économique et social en ébullition.
      Pire, la langue américaine, grâce à lui, contient aujourd’hui deux cents mots qui valent une mort symbolique à ceux qui les utilisent, autrement dit les chercheurs qui les incluent dans leur programme et les agences qui les utilisaient dans leurs actions.
Autant d’autodafés.

« Quand dire, c’est vraiment faire »

      Au regard de la marche chaotique du monde, le thème des Imaginales sera marqué par les interventions d’une douzaine de conférenciers, habitués ou nouveaux, qui tenteront de nous éclairer sur les jeux et les enjeux des mots.

     Ce seront autant de battements printaniers d’ailes de papillons à qui on souhaite de répondre positivement à l’interrogation d’Edward Lorentz, le théoricien du chaos :

« Le battement d’ailes d’un papillon au Texas peut-il provoquer une tornade au Brésil ? »

     Puisse cette 12ème édition des IME contribuer à tenter de mettre de l’Équité et de l’Ordre dans le chaos du monde.

Jacques Oréfice, Co-Président des IM&E

Du mot aux maux — Le langage, entre blessure et remède

« Les mots peuvent blesser et causer des nouveaux maux.
Si ce sont des mots d’amour ou des mots doux, ils ont le pouvoir de nous transformer. » [Boualem Sansal]

     Il y a, dans chaque mot que nous prononçons, une puissance discrète. Une promesse de lien, de sens, parfois de guérison. Mais aussi, parfois, un germe de malentendu, de rupture ou de douleur.
     Car le mot est double. Il éclaire autant qu’il dissimule. Il relie autant qu’il sépare. Il soigne, mais il peut aussi blesser.
     Un mot de trop, un mot mal placé, un silence entre deux phrases et voici que naît la fissure. À l’inverse, un mot simple, déposé avec justesse – “Je suis là”, “Je t’écoute” – peut être un baume, un commencement de soin.
     Dans son œuvre littéraire et ses prises de parole publiques, Boualem Sansal éclaire avec force ce passage du mot aux maux, et vice versa. Écrivain lucide, il voit dans le mot non seulement un outil d’expression, mais aussi un instrument de résistance face aux blessures de l’histoire, à l’oppression des régimes et au silence imposé par la peur.
     Il affirme : « Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair », soulignant combien le fait de nommer les maux est déjà un acte de vérité et de libération. Dans Le Serment des barbares, son tout premier roman, « les mots creusent sous les apparences pour faire remonter à la surface les douleurs collectives enfouies sous des discours falsifiés ». Et lorsqu’il participe au recueil Mots pour maux, Boualem Sansal s’inscrit aux côtés d’autres écrivains pour rappeler que les mots ont ce pouvoir ambigu : ils peuvent autant dire la souffrance que la travestir, autant soigner que servir l’oubli.
     Chez Boualem Sensal, le mot est une veilleuse fragile contre l’obscurité des maux à condition qu’il reste libre, vivant, sincère.
     C’est cette ambiguïté du mot, cette tension entre clarté et confusion, entre soin et blessure, que nos invités interrogeront lors de cette XIIème Edition des IM&E.
     Non pour en dénoncer les limites, mais pour en comprendre la portée humaine.
     Le mot n’est jamais neutre. Il est chargé de nos histoires, de nos attentes, de nos blessures anciennes. Il passe de bouche en bouche, mais aussi de siècle en siècle, de territoires en territoires. Il porte les stigmates de ce qu’il a traversé : guerres, dominations, silences imposés, révoltes. Il guérit parfois, mais il se souvient toujours.
     Les maux, eux, prennent racine dans la chair, dans la psyché, dans le tissu social. Ils disent le réel qui résiste. Et pourtant, notre premier réflexe face à eux est de parler. De mettre des mots. De dire. Parfois même, de crier ou de se taire…
     Mais si le mot apaise, il peut aussi aggraver. L’injure, la calomnie, la moquerie, ou même la parole anodine dite sans attention peuvent se faire violence symbolique. Il y a des mots qui enferment, des mots qui détruisent. On peut tuer symboliquement par la parole, tout autant qu’on peut renaître grâce à elle.
     Et pourtant, malgré cela, ou à cause de cela, nous semblons toujours revenir aux mots. Parce qu’ils sont l’un de nos seuls outils pour habiter le monde.     Parce qu’ils permettent de dire le chaos, de lui donner forme, de le rendre partageable. Parce qu’ils tracent un chemin entre l’irreprésentable et le sensible.
                      Dire, c’est commencer à comprendre.
                    Parler, c’est commencer à résister.
                    Écrire, c’est parfois survivre.
     Ainsi, du mot aux maux, il n’y a pas qu’un glissement phonétique. Il y a tout un espace de tension, où se joue notre humanité. Là où le langage devient fragile, incertain, mais profondément vivant.
     Interface entre notre monde intérieur et l’extérieur le mot nous permet d’exprimer nos idées, nos sentiments, et nos intentions mais il peut aussi projeter nos propres souffrances, nos incompréhensions ou nos peurs sur autrui.
     Je laisse à René CHAR le dernier mot extrait de « Chants de la Balandrane » :

« Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »

     Alors soyez/soyons curieux et nombreux aux IM&E 2025, pour y explorer au côté de nos quatorze conférenciers, la puissance des mots, tout autant reflet de nos pensées que vecteur de nos maux.

Patrice LHOTE, Co-Président des IM&E

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